Trop souvent, les deux termes ”traçabilité” et “qualité” sont confondus, et sont utilisés de manière inappropriée.
Nous vous proposons, dans cet article, de revenir sur la signification de ces deux termes, de vous montrer que les deux vont souvent de pair et qu’il est nécessaire d’avoir les deux pour arriver à un niveau de qualité attendu.
Traçabilté
La traçabilité consiste à avoir la connaissance juste et précise des évènements qui se sont passés au cours de la création d’un produit (physique ou virtuel), tout au long de la chaîne de production.
Cette connaissance peut concerner :
Aussi bien l’identification des composants qui ont été utilisés pour fabriquer le produit (semi fini ou fini);
Que les personnes ayant réalisé les opérations (de réception, production, contrôle, manutention, etc.);
Que les informations liées au déroulement des processus (différentes étapes suivies) ou des opérations (par exemple temps de mise à température demandée);
Que les étapes liées aux vérifications, contrôles, vides de lignes, nettoyage, réglage, etc. ;
Que les moyens utilisés (quel chariot élévateur, quelle ligne d’assemblage, etc.);
Que des données liées à l’environnement (quelle est la température ambiante, l’hygrométrie, etc.);
Que les aléas / non conformités rencontrées;
Etc.
La traçabilité concerne la production physique, mais également les actions informatiques : quelle personne (ou compte, « job », automate, …) a réalisé quelle action, dans quel système, quand.
Pour chaque étape ou action réalisée, il faut garder les informations de QUI a fait QUOI et QUAND pour chaque évènement qui s’est produit.
Les bonnes pratiques consistent à créer les éléments de traçabilité au fil de l’eau, au moment où les actions se déroulent. Ne jamais inventer, modifier, supprimer, antidater ou postdater des évènements.
La génération des événements :
Les évènements peuvent être générés de différentes manières :
Un humain ;
Un capteur ;
Une alarme ;
Un changement d’heure ;
Un produit qui arrive à expiration ;
Une contamination ;
Un programme informatique ;
SCADA, automate, etc.
Le stockage des évènements :
Une fois qu’un événement unitaire est généré, il faut stocker ses informations associées pour qu’elles puissent être exploités après coup.
Les stockages peuvent être très variés :
Papier (livre de bord de machine, fiche suiveuse)
Informatique
Il est absolument nécessaire que le mécanisme et le système de stockage soient fiables :
Tous les évènements doivent être mémorisés, une et une seule fois, de manière chronologique. La chronologie est importante : par exemple, il faut pouvoir être certain qu’un contenant alimentaire a bien été nettoyé avant d’avoir été rempli avec des denrées alimentaires;
Les évènements ne doivent pas pouvoir être supprimés, ni même modifiés. Par exemple, supprimer un événement indiquant une rupture de la chaîne du froid peut rendre des produits glaciers impropres à la consommation. Diminuer la valeur d’un taux de radioactivité mesuré pour la faire rentrer dans une plage acceptable peut tout autant déclencher un scandale sanitaire en empêchant de mettre en oeuvre les mesures nécessaires dès l’instant même de la découverte d’un événement très grave.
Impossibilité de générer artificiellement des évènements. Par exemple, lorsqu’un contamination aux hydrocarbures est détectée sur l’emballage d’un produit alimentaire à l’arrivée chez un revendeur, il est nécessaire d’avoir la certitude que la vérification de conformité des règles d’hygiène du produit a bien été effectivement vérifiée avant le chargement du camion qui a fait l’approvisionnement. La contamination peut alors être attribuée au transport.
L’exploitation des évènements
Les événements élémentaires tracés au fil de l’eau sont les briques de base qui sont ensuite exploitées en fonction des besoins.
De nombreuses finalités existent :
- Exploitation systématique:
Par exemple, en production pharmaceutique, il est obligatoire de générer un dossier de traçabilité qui retrace comment a été généré le lot pour prouver que le produit est conforme, en accord avec toutes les réglementations en vigueur.
- Investigation:
Par exemple en cas de doute ou de réclamation, pouvoir prouver la conformité du produit ou identifier la « root cause », qui est à l’origine de l’anomalie.
- Audit:
Dans des environnements fortement réglementés, il est nécessaire de pouvoir prouver que toute production s’est déroulée de manière conforme à ce qui est établi. La lecture à posteriori permet de prouver que toutes les étapes ont été déroulées conformément aux processus, et avec des résultats conformes à l’attendu ; que les éventuels écarts ont été traités conformément aux procédures en vigueur.
- Libération des produits
Dans la production pharmaceutique ou agroalimentaire, les produits fabriqués ne peuvent être vendus ou distribués que si les lots associés ont été “libérés”, c’est-à-dire déclarés conformes à toutes les règles et obligations en vigueur. La libération est une étape capitale, qui vise à garantir entre autres que le produit est conforme et ne présente pas de risque (par exemple, absence de salmonelle dans un plat cuisiné). Des personnes de la qualité, entourées de spécialistes « métiers », des pharmaciens, médecins, etc., réalisent ces opérations et ont toute latitude pour interdire la sortie d’un lot sur le marché ou ordonner la mise en quarantaine le temps de lever les doutes. Typiquement, une perte dans la traçabilité d’un produit est une raison grave suffisante pour déclarer un lot non conforme et impropre à la consommation.
- Analyse d’impact
Lors de contrôles, il peut s’avérer qu’un lot de composant, une machine, ou un élément de la chaîne de production s’avère être à l’origine d’un problème rendant un lot de produit fini dangereux ou impropre à la consommation. Il est alors nécessaire de faire une investigation sur tous les lots qui pourraient avoir la même anomalie. La traçabilité est alors à pour aider à identifier les cas similaires.
Par exemple, un client final mentionne la présence d’hydrocarbure sur un paquet de pâtes alimentaire. Si les investigations montrent que la « root cause » de la contamination est un camion de livraison qui était sale, alors il faudra faire des investigations sur tous les produits ayant pu transiter dans ce camion, entre les deux dates précédente et suivante de nettoyage du camion.
- Aide à la maintenance :
Par exemple si certains évènements se déroulent de manière régulière, pouvoir planifier des phases de maintenance
- Améliorations de processus
Par exemple, si statistiquement certaines opérations s’avèrent plus lentes que prévues ou génèrent de fréquentes non conformités, pouvoir planifier de former mieux les opérateurs, d’adapter les postes de travail, ou d’améliorer les processus
- Etc.
La traçabilité nécessite de tracer et conserver ce qui s’est passé dans la fabrication d’un produit (depuis la conception, jusqu’à la fabrication, voire plus loin avec la maintenance et jusqu’au recyclage du produit).
Pour accéder à la traçabilité, il faut un point d’entrée, qui permettra ensuite de retrouver toute la chaîne des actions réalisées, en amont et / ou en aval par rapport à ce point d’entrée.
Des points d’entrée classiques sont un « numéro de lot » ou un « numéro de série », mais peuvent être également une date, un numéro de camion, un opérateur, une machine, etc.
Numéro de lot
Un numéro de lot est un identifiant (chaîne de caractères numériques ou alphanumériques) qui permet d’identifier un ensemble de produits homogènes. Généralement les différents produits ayant un même numéro de lot ont des caractéristiques identiques.
Exemples d’utilisation : dans l’agro-alimentaire, chaque lot produit au cours d’un cycle de fabrication
Le numéro de lot est indiqué sur chaque produit, souvent à proximité de la DLUO ou de la date de péremption.
A noter que les numéros de lot sont attribués par les entreprises comme elles l’entendent et qu’elles garantissent en interne leur unicité.
Il est donc tout à fait possible que le même numéro de lot soit utilisé par plusieurs entreprises différentes.
Numéro de série
Un numéro de série est comme un numéro de lot, mais pour une seule pièce. On peut citer comme exemple d’utilisation le numéro de châssis de voiture, identifiant unique, frappé sur les caisses de chaque voiture, et repris sur les cartes grises pour garantir que le certificat d’immatriculation ne correspond qu’à un et un seul véhicule.
Pourquoi la traçabilité
Comme nous l’avons vu précédemment, la traçabilité est quelque chose qui peut être à la fois contraignant et utile, voire obligatoire.
La mise en place d’une traçabilité peut avoir deux origines :
- Une volonté propre à l’entreprise, pour suivre la qualité de son travail et éventuellement le valoriser;
- Une obligation légale.
La traçabilité peut être imposée pour des raisons variées comme la santé publique, la sécurité ou des risques graves.
Certaines industries imposent donc de respecter des réglementations et des normes fortement contraignantes, mais nécessaire pour garantir la qualité des produits et la sécurité des personnes.
Nous pouvons citer par exemple la réglementation 21 CFR (Code of Federal Regulations Title 21 https://www.accessdata.fda.gov/scripts/cdrh/cfdocs/cfcfr/cfrsearch.cfm) émise par la FDA (Food & Drug Administration, agence américaine du médicament, équivalente à l’EMA European Medicines Agency en Europe) et particulièrement la section « Part 11 » concernant les enregistrements électroniques et signatures électroniques.
Et la qualité ?
Une bonne traçabilité permet donc de savoir de manière fiable tout ce qui s’est passé chronologiquement sur un produit ou une activité liée à un processus quelconque.
C’est très bien, mais est-ce vraiment suffisant pour être rassuré que tout va bien ?
Avoir tracé des évènements qui permettent de dire « à 12h03 le 5 janvier 2017, Monsieur Pierre Dupond a pris tous les retours invendus des clients et les a mélangé pour faire un nouveau lot ABF » a le mérite d’être clair et précis, mais ne laisse en rien présager dans la confiance qu’on peut avoir dans la « mixture finale ».
A ce niveau, entre en jeu la qualité.
Selon l’ISO, la qualité peut être définie comme “l’aptitude d’un ensemble de caractéristiques intrinsèques d’un objet (produit, service, etc.) à satisfaire des exigences”.
Attention, « Exigences » ne laisse pas présager du fait que la qualité sera bonne, médiocre, ou mauvaise !
Afin de préciser ce niveau de qualité, il convient donc de s’appuyer sur d’autres normes ou standards.
A ce titre, on peut citer les BPF, Bonnes pratiques de Fabrication (cf. http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/2f6141ab8912e0d90304d6586655be64.pdf) ou cGMP, current Good Manufacturing Practices (cf. https://www.fda.gov/food/guidanceregulation/cgmp/default.htm) bien connues en industrie pharmaceutique.
La notion de qualité étant donc relative, et il convient aux entreprises de définir le niveau de qualité optimal qu’elles tendent à atteindre, en fonction de leurs stratégies et des obligations légales.
Il faut garder à l’esprit que faire de la « sur-qualité » ou de la qualité parfaite peut-être extrêmement coûteuse et peut même parfois être assimilé à une “non qualité” ou même être dangereux commercialement ! On peut citer dans ce registre deux exemples.
Le premier est DIM (initialement la société des bas dimanche) qui avait produit un fil d’une très grande qualité pour ses bas. La stratégie était la prise de marché grâce aux bas les plus solides. L’idée est vertueuse, mais l’effet induit est une baisse des ventes.
Le second exemple concerne les outils Facom. Il sont d’excellente qualité, et remplaçable à vie dans le cadre d’anomalie suite à une utilisation normale. Pendant des décennies, les outils Facom ont donc été achetés par des professionnels et des particuliers. Tant que les ventes correspondaient aux “premiers équipements”, les volumes d’outils vendus ont été importants, mais la poule aux oeufs d’or a été tuée car il n’y a plus de place pour le marché de renouvellement, qui s’avère être inexistant.