J’enfoncerais des portes ouvertes si je faisais ici le détail de ce qu’est le Big Data.
Intéressons-nous plus précisément aux données individuelles, toutes ces petites choses auxquelles nous ne prêtons pas ou peu attention. Surfer, utiliser des objets connectés, même tout simplement prendre les transports en commun ou payer une facture par virement etc… Mises bout à bout, toutes ces miettes que nous laissons derrière nous forment suffisamment de pain pour ouvrir quelques boulangeries.
Le Big Data n’est ni bon, ni mauvais en soi; tout dépend de l’usage que l’on en fait. Sur la base de toutes ces données personnelles, il devient possible aujourd’hui de faire des déductions sur des aspects aussi variés que les orientations sexuelles, politiques ou religieuses, les hobbys, les habitudes alimentaires, de santé, le niveau d’études etc… Il s’agit ici de “données dérivées”, pour utiliser le terme exact. Ces données sont issues de déductions, de recoupements, d’algorithmes, et sont bien moins protégées que les données personnelles dans la mesure où elles ne sont pas déclaratives; et leur valeur financière n’en est donc que bien plus élevée. Il s’agit du nouveau pétrole de la décennie.
C’est même devenu une source de revenus, et même un métier: Data Broker ou courtier de données. Il s’agit d’entreprise dont l’activité est basée sur la revente de données à des annonceurs ou à des prestataires marketing. Dans un contexte marketing, les données vendues par les data brokers peuvent être utilisées par exemple pour le ciblage de campagne, pour de la professionnalisation / recommandation dynamique sur les sites et applications mobiles ou à des fins d’études. Au sens strict du terme, un data broker ne collecte pas directement la donnée consommateur. Il se « contente » de l’acheter (auprès d’un réseau social, une compagnie de transport, etc…) pour la revendre ensuite aux acteurs intéressés avec un processus de traitement et de valorisation.
Seulement voilà, cela fait maintenant quelques siècles que philosophes, sociologues etc… ont constaté que nous adaptons nos comportements non seulement en fonction de l’environnement; mais aussi des autres qui peuvent nous observer. C’est l’exemple classique du trou de serrure: vous n’oserez pas regarder à travers le trou d’une serrure si vous vous savez vous-même observés.
Et ce n’est pas parce que la réputation est désormais devenue également numérique que ce comportement change. Petit à petit, les utilisateurs de réseaux sociaux ont pris conscience de l’importance de cette réputation. Qui n’a jamais fait attention à quelles photos de lendemain de soirée se retrouvent sur Facebook? Récemment, suite à un jour de grève, la compagnie des transports strasbourgeois a poursuivi les auteurs de commentaires insultants sur les réseaux sociaux, (http://www.20minutes.fr/strasbourg/2094759-20170627-strasbourg-commentaires-insultants-facebook-cts-reclame-excuses-95-euros) et l’on connait tous au moins une personne dotée de plusieurs comptes twitter selon l’usage qu’il en fait. Qui n’a jamais hésité à cliquer sur un lien de peur d’être tracé d’une manière ou d’une autre?
L’idée qu’on est désormais responsable de ses actes en ligne, que l’on pourrait se voir refuser un emploi à cause d’un profil Facebook, qu’une banque pourrait interroger ces données pour savoir quel votre état de santé pour définir le taux d’un prêt etc… commence à faire son chemin.
En conséquence, les utilisateurs commencent à adopter leurs comportements numérique, en vue d’être perçus “positivement”. C’est ce qu’a soulevé récemment Tijmen Schep, un hollandais qui s’interroge sur les conséquences des technologies. Pour lui nous sommes ainsi entrés dans le “refroidissement numérique”, un concept qu’il détaille sur son site internet (https://www.socialcooling.com/), et sur lequel il théorise sur “l’effet pervers et à long terme d’une vie dépendante de l’économie de la réputation.”
Schep voit trois conséquences à ce refroidissement : une culture de la conformité , une culture de l’aversion au risque et enfin une rigidité sociale.
Un bilan sommes toutes inquiétant. Est-ce que ce refroidissement est une réaction de défense naturelle face à l’intrusion ? Signifie-t-il que nous sommes en train de poser les bases d’une société de la réputation? Certains s’en alarment et posent des dystopies moderne (comme 1984 d’Orwell avait pu le faire à son époque) pour alimenter cette réflexion.
Episode 3, saison 3 de Black Mirror, Netflix
Tim Schep va jusqu’à comparer ce mouvement de fond au réchauffement climatique. Quel est le rapport vous demandez vous. Il s’agit d’une problématique globale, invisible, un lent glissement qui ne pourra pas être résolu – si tant est qu’il le soit, à coup de baguette magique. Il faudra que tous, entrepreneurs, utilisateurs, scientifiques, politiques, se posent la question du droit à l’erreur numérique, de l’oubli. Des pistes sont envisagées, certains réclament la mise en place d’une “faillite d’identité”, où un individu pourrait obtenir plusieurs identités au cours de sa vie; d’autres prônent l’anonymat; ou encore des réseaux sociaux “instanciés” voire auto hébergés; des industriels commencent à proposer des options de “do not track” et des principes de collecte de données “raisonnées”; tandis que les institutions réfléchissent à la définition d’encadrement réglementaire etc…
Les pistes de réflexions sont nombreuses. Si les données dérivées sont bel et bien le “nouveau pétrole”, il est urgent de s’interroger sur les “nouvelles énergies renouvelables”. Et si c’était ça le moteur du futur de l’économie numérique?